![]() Là, je ne comprends plus rien. Je croyais qu’on rentrait dans une mosquée ? mais en fait, on se retrouve à l’air libre, dans une grande cour de marbre blanc, avec plein de cloisons complexes de marbre ajouré, qui dessinent comme un parcours…. La nuit est tombée, l’éclairage est minimaliste. Il y a une foule de personnes, hommes, femmes, enfants, assis par terre ou déambulants dans tous les sens. Ca parle, ça chante, ça prie… J’avance toujours en rêve, pieds nus sur le marbre lisse. Il fait doux. Malgré le chaos apparent, ce qui me frappe le plus, c’est une impression générale de cohérence et de calme. Tout est fluide, les mouvements sont lents et mesurés, comme si une eau étrange remplissait tout l’espace. Ma parole, c’est saturé de Chi , ici ! Constanza nous guide toujours comme un poisson pilote. Nous progressons à un rythme de procession, en suivant la foule dans une espère de sens giratoire autour du mausolée central. J’apprends qu’il abrite le tombeau du Saint ( quel saint au fait ? J’avoue à ma grande honte que je ne sais toujours pas…), et que cet espace est interdit aux femmes. Certaines sont là, autour de nous, assises en tailleur au sol, dignes comme des reines avec leurs saris colorés. Les enfants jouent, courent après un chat, têtent au sein sous les habits, dorment dans un giron ou sur un bras…certains , faméliques, tendent la main et mendient quelque chose en nous voyant arriver. Ils ont tous des corps tellement libres, tellement souples et naturels dans leurs postures. Quelle différence avec notre rigidité d’occidentaux. Nous avançons toujours, pour déboucher sur un plus grand espace, où des centaines de personnes sont assis sur des tapis/tissus, autour d’une scène vide. Ah ! c’est là que le spectacle va avoir lieu ? J’imagine déjà les danseurs derviches, tournoyant avec leur robes blanches…Nous nous faufilons pour trouver une place, dans un coin encore un peu libre. Les hommes s’écartent, toujours pour ne pas nous toucher (c’est commode :). Là-bas, dans l’ombre, derrière une des cloisons de marbre ajouré, il se passe des choses étranges. Constanza est comme attirée, hyptnotisée. Elle nous avait parlé de ce qu’elle avait vu lors de sa précédente visite : ces femmes comme possédées, se tapant la tête contre les murs ou hurlant avec des gestes incohérents. Nous aperçevons en passant une jeune femme qui semble en crise d’épilepsie, portée par d’autres…Constanza voudrait s’approcher. Je l’en dissuade : je ne sais pas pourquoi, mais il me semble que ce qui se passe là nous dépasse. Je sens que ce n’est pas un truc à prendre à la légère, ou à regarder comme un spectacle. Nous avançons encore de quelques mètres, il y a des places libres…Constanza et Ievgenia s’assoient….je vois un petit parapet, comme une marche en marbre le long d’une des cloisons : « super, là je vais être bien assise et je verrais mieux ! ». Mais sitôt installée, je me fais reprendre par les hommes autour. Je ne comprends pas, mais ils me font signe avec les mains que je dois m’asseoir par terre. ( Je découvrirai plus tard, à Dhaulchina, en ouvrant par hasard un livre de Jacques Vigne sur la spiritualité en Inde que ces rassemblements soufis font l’objet de règles très précises..Et que , notamment, chacun doit être assis pas terre, au même niveau sans distinction d’aucune sorte! Même les chanteurs ! C’est pour ça que je n’avais pas vu qu’ils étaient déjà installés). Bon OK, je me décale, et je me trouve une toute petite place à coté de deux femmes. Ma voisine me fait un beau sourire et un geste invitant pour que je m’installe mieux. Elle écoute religieusement. Et là, je me rends compte que les chants ont déjà commencé !! Pas de derviches tourneurs, rien de « folklorique »….Mais une dizaine de musiciens et chanteurs, assis en tailleur au sol au bord de l’espace central qui reste vide. Et leur chant monte, étrange, un peu déroutant pour mon oreille peu habituée aux harmoniques orientales. C’est fort. Mais j’avoue que je n’ai pas prêté assez attention, et que je ne suis pas sure d’avoir vraiment bien écouté ( Désolée Anne, désolée Marion, vous auriez mieux apprécié que moi !Mais j’ai acheté un CD en sortant, je pourrais vous envoyer les MP3…). Parce que j’ai un peu parlé avec ma voisine .… Ca commence par les questions habituelles : « where are you from ? What do you do in your country ?What’s your name? etc.. » Et puis, très vite, la conversation prend un tournant inattendu. Nimisha a mon age. Elle est habillée avec élégance, avec une kurta, des bijoux modernes, un maquillage qui la met en valeur discrètement. Célibataire, hindi, et non pas musulmane, (ce qui m’étonne dans ce contexte !), elle n’entre pas bien dans les cadres de la société indienne…et son métier ? …Elle est guérisseuse. Elle m’explique qu’elle reçoit les gens en consultation pour différents problèmes. Elle fait appel aux énergies des anges et à des visualisations de couleurs pour travailler en magnétisme. Et là…pardonnez-moi, peut-être certain.e.s d’entre vous vont avoir du mal avec ce qui suit…. Mais j’ai juste halluciné. Dans le quart d’heure qui a suivi, sans que je lui demande rien, NImisha m’a parlé de son métier, avec une modestie et une justesse qui ne trompent pas. Et elle utilisait les mêmes termes, les mêmes images, les mêmes références …Qu’une autre personne que j’ai rencontrée cet été en Belgique !!! Et que bien d’autres de par le monde, maintenant, j’en suis persuadée. J’avais tant de questions à lui poser ! Et les échanges étaient si naturels, si fluides, comme si on se connaissait depuis toujours. Là, j’ai eu l’impression de recevoir quelques messages forts que je n’oublierai pas : « nous sommes tous capables d’être guérisseurs, c’est juste une question de confiance et d’ouverture… Et il y a mille façons d’utiliser cette énergie, pas forcément pour guérir des maladies, mais pour contribuer à mettre plus d’amour et de lumière sur Terre, partout, à commencer par là où on est, dans nos vies… ». Ces conseils sont précis, et font référence à des choses que je connais déjà un peu. C’est juste improbable, ici, au cœur de l’Inde, dans un haut lieu d’une spiritualité étrangère dont j’ignore tout !! Comment croire au hasard ? Et puis, elle me demande si je suis mariée. Je lui explique en quelques mots que oui, mais que c’est peut-être fini, que mon mari a décidé de me quitter et que je suis très triste. NImisha me fait un grand sourire, et me répond : « alors je vais prier pour toi…». Elle, n’est pas mariée. Elle soupire depuis des années pour l’un des chanteurs soufis qui est là ce soir….elle me montre sa silhouette..nous écoutons sa voix, ensemble, en silence… Ce n’est pas facile pour une fille Hindi d’aimer un musulman. Je suis touchée par ces confidences si spontanées, entre femmes. Mais la situation est complètement irréelle, comme si j’étais dans un rêve ! A un moment, la voisine de Nimisha commence à être parcourue de tressautements, comme si elle avait le hoquet, puis de plus en plus fort, jusqu’à entrer franchement en transe, toujours assise. Je suis un peu perplexe, je demande à Nimisha si tout va bien ? Elle m’explique que c’est normal, c’est un des effets des chants. Qu’il ne faut pas intervenir, que cette femme est en train de « recevoir un message ». Et que ça lui est déjà arrivée , à elle, Nimisha, et que c’est comme un état d’hypnose. Je lui demande alors ce qui se passe avec les femmes dans l’ombre, là-bas. Je lui dis mon impression de « darkness », quelque chose de lourd. Elle confirme : ce sont des exorcismes. Les gens viennent de très loin pour recevoir ces « soins » et se faire libérer par le Saint de quelque ombre ou possession (bon, je reconnais que là, ça devient franchement difficile à entendre pour nous, occidentaux….mais là-bas, c’est juste logique). Je ressens une étrange joie à être assise là, à coté d’elle. Sa simple présence crée un sentiment de sécurité et d’accueil, comme si elle venait traduire pour moi cet univers culturel étrange ?! Après un certain temps en silence, Nimisha me dit qu’elle doit partir. Elle commence à se lever..Et là, je vois son sac à main. Bleu. Bleu lumineux. En cuir. Presque exactement comme le mien, resté là-bas, à Lyon ! C’est drôle quand même, ce n‘est pas un modèle courant. Je lui dis. Elle me fait un de ses grands sourires et conclue « Alors, c’est que nous sommes sœurs ! » Elle fait un geste en direction du mausolée et ajoute "C'est Lui qui a voulu qu'on se rencontre". On se prend dans les bras, et on se promet mutuellement de prier l’une pour l’autre. Deux secondes après, Nimisha a disparu. Je ne l’ai pas vue partir. Soudain, les chants s’arrêtent. Les musiciens se lèvent, la foule a commence à s’agiter. Je retrouve Ievgenia et Constanza, toujours comme dans une étrange brume d’irréel. Elles me demandent ce que m’a raconté ma voisine : « vous aviez l’air en grande conversation ! »…heu…comment dire…je botte en touche J. Je leur raconte quand même pour les exorcismes. Et nous reprenons le chemin de la sortie. Désorientée, Constanza nous emmène par une autre porte du labyrinthe. Je lui fait remarquer que si nous voulons retrouver nos chaussures, ce n’est pas par là ! Demi-tour…on récupère bien les chaussures moyennant 30 Rs de pourboire..et on sort, à la recherche de Bradt Pitt ! (Au passage, j’achète un CD pour garder un souvenir de cette soirée inoubliable.)Mais impossible de retrouver l’échoppe de confiseries dont Constanza avait le souvenir. Je lui demande si elle est sure que c’était par là ? C’est que tout se ressemble, ici. Je lui propose de reprendre le chemin qu’elle avait spontannément choisi après les chants. Zou ! demi-tour vers l’esplanade centrale. Sandales à la main, nous faisons la sourde oreille aux cris horrifiés des « gardiens » qui veulent nous piquer nos chaussures : « forbiden ! no shoes ». OK, ok, on les mets dans nos sacs à main ( ! oui, bonjour l’hygiène..mais on n’est plus à ça près J). Et on prends l’autre porte du labyrinthe. Ca devient encore plus surréaliste..nous suivons les pélerins dans un dédale de couloirs étroits, toujours pieds nus sur le marbre…Il y a là des malades, des femmes avec des enfants, des personnes agées. Assises par terre le long du mur dans le couloir, elles semblent prêtes à attendre des heures, dans un grand calme silencieux. Nous apercevons une pièce avec un groupe d’hommes en robes, coifés de toque en tissus…des imams soufis ? Ca psalmodie, ça chante. L’un d’eux a une longue barbe blanche, ça a l’air d’être le big boss ? Je devine que les gens dans le couloir c’est un peu la file d’attente. Mais qu’est-ce qu’ils attendent ? Une bénédiction ? Un soin ? D’aller voir le tombeau du Saint ? Je ne saurais jamais… Nous débouchons à l’air libre, dans une autre ruelle pleine d’échoppes de beignets et de pétales de roses. Et là, ça y est, Constanza identifie le coin de rue de son souvenir ! Mais point de Bradt Pitt. Elle est déçue…On prend quand même une photo souvenir…Elle saura retrouver l’endroit la prochaine fois. Nous rentrons en Rikschaw à Bed and Chaï. Nous sommes toutes les trois émues et habitées des souvenirs de cette étrange soirée. Je remercie chaleureusement Constanza. C’était le 4 septembre au soir. Plus tard, je repenserai à ces mots, entendus pour la première fois sur les glaciers des Alpes, pendant le parcours glaciaire de Chamonix-Zermatt : «Mieux que tous les hasards, c’était un rendez-vous ». Oui, je crois que j’avais rendez-vous avec Nimisha, même si je ne le savais pas. Ce soir-là, les portes de Nizzamuddin Dargah se sont ouvertes pour me laisser entre-apercevoir une Inde mythique, dont les racines sont profondes, très profondes. Universelles ? Et le lendemain, j’ai pris mon train à la première heure pour Dhaulchina. ...A suivre ! Envie de partager en retour ? Vos commentaires seront lus avec le coeur ! Clic ci-dessous :
5 Commentaires
Christian
9/24/2014 05:45:34 am
Bonjour Lara,
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catherine Mangin
9/24/2014 09:05:04 am
Encore, encore ma Lara!
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TatyCath
9/24/2014 09:07:30 am
Zut pas l'habitude d'écrire sur un blog!
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florence Boisseau
9/25/2014 09:57:53 am
Ce chemin-ci est fini... un autre va commencer ! Toutes ces belles expériences t'ont enrichi c'est sûr. Je pense bien à toi pour le "retour sur terre".
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Julien
9/26/2014 05:04:38 am
C'est déjà très impressionnant à te lire, difficile d'imaginer ce que tu as vécu ce soir là ... A bientôt Lara !
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Un Oiseau Bleu en HimalayindeJe suis partie en Inde en 2014, en plein cœur d’une tempête personnelle. Voici quelques morceaux de récit écrits en direct depuis le Ladakh et New Delhi. Ce fabuleux voyage a été un cadeau de la vie inoubliable. Mais je n’ai jamais mis à jour ces pages. Peut-être le ferais-je cet automne ? Archives
Mai 2022
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