En reprenant l’avion depuis Leh, laissant derrière moi le Ladakh, j’avais le cœur gros... Derniers « Juley », derniers symboles bouddhistes dans le hall de l’aéroport…dernier regard sur les collines rouges embrumées. Pas de chance au retour, les hauts sommets sont restés invisibles sous la mer de nuages. Je me promets à moi-même de revenir. J’ai vraiment aimé ce pays de montagnes, de soleil et de sourires. Et revoilà Delhi. Il fait toujours aussi chaud, et aussi humide. Mais je suis moins perdue et moins dépaysée. Je retrouve Arun, le chauffeur de taxi, avec sa grosse moustache et sa bienveillance attentive, et toute l’équipe de "la Guest house à la théière rose". Il faut dire que Bed&Chaï, c’est un peu la « familia «, : un cocon confortable et sécure, qui sert de camp de repos aux touristes français en transit dans le maelström indien. C’est petit, mais je savoure le luxe : une chambre personnelle climatisée, une connexion wifi, de l’eau filtrée à volonté, une cuisine maison savoureuse et simple, et surtout, des relations humaines chaleureuses, sans obséquiosité et en totale confiance. Pour moi, ça compte beaucoup. Le tout me coute environ 25 euros par jour. Oui, c’est très cher pour l’Inde, mais tant pis. C’est ma limite personnelle…le homestay au fin fond du Ladakh, c’est OK, mais la tourista dans un hôtel louche à Delhi, je préfère éviter :) Sitôt installée, après une bonne douche, et je rejoins la cuisine pour me faire un thé…Tiens y’a de nouvelles têtes. Bonjour. Bonjour… »where are you from ? How long have you been in India ? » etc. La routine, quoi. Je ne m’attends pas à grand-chose, mais c’est toujours sympa et puis je suis d’humeur sociable. C’était sans compter sur la magie de Bed&Chai ! Ievgenia est ukrainienne. Elle fait ses études en France et a choisi de faire son stage d’Ecole de marketing …en Inde, à Bed& Chaï…si. Elle vient d’arriver il y a deux jours. De son coté, Constanza est franco-italieno-américaine, actuellement en Inde pour sa thèse…qui porte sur « l’impact du réchauffement climatique et des nouveaux barrages sur le régime des crues alluviales du Brahmapoutre » ! Si, si. Et c’est passionnant. Elle revient de 2 semaines de mission sur le terrain et cherche visiblement de la compagnie. Elle a trouvé bon public, je ne me lasse pas de la questionner sur les enjeux socio-politico-agricoles de sa recherche. De mon coté, je leur raconte bien sur le Ladakh en long, en large et en couleurs. Bref, trois heures plus tard, on est toujours dans la cuisine à parler à bâtons rompus, avec les mains, à l’italienne. Constanza nous propose son expérience de guide pour quelques sorties dans Delhi. Chic alors. Et voila notre improbable trio de choc en route pour « Khan Market ». Pour moi, c’est la première sortie en rickshaw, première plongée en Inde, la vraie… De la petite cabine jaune et verte cahotante, protégée de la pluie par le toit , mais ouverte à tous les courants d’air, j’ai l’impression d’entrer en scaphandre dans un espace-temps particulier. J’ouvre grand mes yeux et mes oreilles, et je plonge dans ce nouvel univers, comme dans un rêve. Ce qui domine, c’est la cacophonie des klaxons. Comme un bruit de fond permanent, signature sonore du fleuve de véhicules qui se faufilent, se croisent, se doublent en slalom, dans un chaos étrangement fluide. Ici, il FAUT klaxonner. On est en tort sinon.Et c’est le plus décidé qui passe : tout se joue à la confiance en soi et au gabarit. Serrées à trois à l’arrière de notre petit rickshaw sur le périphérique, qui tressaute et tousse avec son moteur à deux temps, entouré de voitures « normales » et de mercédès flambantes neuves, j’ai une pensée pour Harry Potter. Je ne sais pas si vous avez vu ce passage où le bus magique s’aplatit dans une autre dimension pour passer les files de voitures à contre-sens ? Bref, c’est un peu ça. Les chauffeurs sont tous des magiciens. (Ils n’ont pas de permis de conduire, certes, mais ce détail est compensé par une dextérité incroyable…je n’ose pas me demander quel est le taux de sélection naturelle la première année de pratique ???). Pour avoir la bande son complète du film il faut rajouter tout un tas de cris divers, de meuglement de vaches, d’appels, de musique et de sonneries de portables ( tout le monde est équipé ici, même les plus pauvres. Mon vieux Nokia fait figure d’antiquité préhistorique). Dans cette jungle, on croise sans transition : des femmes en saris colorés, des enfants mendiants à chaque feu rouge, des étals de mangues et de paquets de chips (la junk food en Inde, c'est tout un poème chimique !), des badauds qui semblent assis sur le trottoir à rien faire de la journée, des voitures de luxe, des vaches et des chiens errants, des arbres magnifiques, des tas de fer à béton en vrac…C’est un concentré d’absurde et de grande logique en même temps. Le tout sous un crachin de pluie presque chaude. Bref, c’est Delhi. Je suis dans un drôle d’état second : tout me semble normal, rien ne m’étonne, rien ne me choque, comme si j’avais déjà connu ça toute ma vie. Mais pas au point d’être autonome quand même. Je suis bien heureuse de la présence de Constanza, qui négocie ferme les prix avec le chauffeur et nous pilote dans le quartier de Khan Market avec un aplomb impitoyable digne de la Reine d’Angleterre. Je n’ose pas encore prendre de photos dans la rue…Demain peut-être ? De retour à Bed&Chai, quelques papotages entre filles plus tard ( on s’est raconté nos vies…), Constanza nous propose : « Demain soir, il y a des chants soufis à NIzzamuddin Dargah, ça vous dit qu’on y aille ?". Or, un mois avant, en randonnée dans le Queyras, Selim m’avait parlé de chants soufis à Delhi, en me disant d’y aller absolument si je pouvais. Mais je n’aurais jamais imaginé que ce soit possible, et surtout, je n’y serais jamais allée seule. Quelle chance !
Clara, la gérante de Bed&Chai, tente vaguement de nous décourager : « ils n’aiment pas les touristes, prenez bien un foulard et faites attention les filles.. ». Mais il en faut plus pour effrayer Constanza et pour me dissuader de tenter l’aventure. Le rendez-vous est pris : demain soir, on va voir Nizzamuddin Dargah. Aucune idée de ce qui m’attend, mais juste ces deux mots magiques « chants soufis », je sais qu’il faut que j’y aille. A suivre.. PS : Pizzéria chic dans Khan Market..Constanza était en manque d’Italie.
5 Commentaires
camille
9/21/2014 02:17:52 pm
et voilà : moi aussi je viens de passer un petit moment à delhi ce soir, merci lara
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Serge
9/21/2014 03:06:36 pm
La suite, la suite, la suite !!
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Ludi
9/21/2014 03:11:28 pm
Quel bonheur de te lire, et quelles belles rencontres !
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Julien
9/21/2014 04:17:39 pm
Rhô l'histoire inespérée et le suspens ! Tu racontes trop bien.
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florence Boisseau
9/22/2014 08:19:57 am
J'ai l'impression d'y être également car je (re)sens tout à travers ton récit passionnant : les images, les sons, les mots, les rencontres, la chaleur, etc. Continue ton beau voyage !
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Un Oiseau Bleu en HimalayindeJe suis partie en Inde en 2014, en plein cœur d’une tempête personnelle. Voici quelques morceaux de récit écrits en direct depuis le Ladakh et New Delhi. Ce fabuleux voyage a été un cadeau de la vie inoubliable. Mais je n’ai jamais mis à jour ces pages. Peut-être le ferais-je cet automne ? Archives
Mai 2022
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